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Sports cyclistes et réclamations citoyennes: des hausses à prévoir?

Publié le 6 novembre 2020

Chronique de Me Marie-Pier Savard, conseillère juridique en gestion contractuelle et en droit municipal à la Direction des Affaires juridiques et du Carrefour du capital humain de l’UMQ, publiée initialement dans le magazine URBA d’octobre 2020.

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Chaque année, avec l’arrivée du beau temps, les cyclistes se font plus nombreux sur les pistes cyclables du Québec. Cette année, en raison de la pandémie, les pistes cyclables des quatre coins du Québec ont été prises d’assaut par les citoyens de tout âge, autant les néophytes que les sportifs. La gestion et l’aménagement de l’espace urbain sont essentiels pour assurer les déplacements sécuritaires du public. Un accident étant vite arrivé, il est inévitable que cette recrudescence aura probablement un impact sur le nombre de réclamations citoyennes.

Dans ce contexte, il est utile de rappeler les règles de base en ce qui a trait à la responsabilité municipale relativement à l’entretien et aux accidents qui surviennent sur une piste cyclable.

D’abord, rappelons que les municipalités sont responsables de l’entretien de leurs rues, ponts, trottoirs, pistes cyclables et traverses1. Il s’agit cependant d’une obligation de moyens, dont l’intensité peut varier en fonction des caractéristiques propres à chaque lieu. Le standard exigé n’en est donc pas un de perfection. Si une municipalité fait preuve de diligence raisonnable dans son entretien, elle ne peut être tenue responsable d’une chute ou d’un accident. Pour apprécier les actes qu’elle pose eu égard à l’entretien de ses voies publiques, il faut s’en tenir au critère de la personne raisonnable prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances2. Or, à moins d’une faute ou d’une situation dangereuse en soi, à leur connaissance, les municipalités ne sauraient être tenues responsables des chutes.

Un cycliste ayant subi un dommage corporel à la suite d’une chute sur une piste cyclable mal entretenue par la municipalité peut, dans certains cas, poursuivre cette dernière afin d’être dédommagé.

Dans le cas où les dommages réclamés sont des dommages matériels et/ou moraux, le citoyen devra remplir, par écrit, un avis de réclamation et le transmettre à la municipalité à l’intérieur d’un délai de 15 jours de la date de l’accident3. Ce recours est sujet à la courte prescription de 6 mois4.

Dans le cas où les dommages réclamés sont des dommages corporels (et tout autre dommage qui en découle), l’obligation de transmettre un avis écrit à l’intérieur d’un délai de 15 jours ne s’applique pas5. Autrement dit, une municipalité ne peut invoquer l’irrégularité ou le défaut d’un avis de réclamation en matière de préjudice corporel. Pour ce type de préjudice, le réclamant doit intenter son recours dans un délai de trois ans du fait dommageable6.  

Dans tous les cas, pour que la responsabilité municipale soit engagée et que le réclamant obtienne une compensation financière, celui-ci devra être en mesure de faire la preuve d’un lien direct entre la faute de la municipalité et le dommage subi7.

À ne pas oublier toutefois, aucune municipalité ne peut être tenue responsable du préjudice qui résulte d’un accident dont une personne est victime sur une voie cyclable en raison de la présence d’un objet sur celle-ci8. La seule exception à cette exonération de responsabilité est le cas où la victime est en mesure de prouver une négligence ou une faute imputable à la municipalité. Conséquemment, la municipalité n’est pas responsable des dommages causés par l’état de la voie cyclable aux pneus ou au système de suspension d’une bicyclette.

Au cours des dernières années, les tribunaux ont eu à se positionner face à différentes situations litigieuses en matière de responsabilité municipale et d’accident survenus sur une piste cyclable. Ces cas peuvent désormais servir de précédents et guider les municipalités aux prises avec des réclamations citoyennes ou simplement pour prévenir que de telles situations ne se produisent sur leur territoire.

À titre d’exemple, les fissures se trouvant sur les pistes cyclables peuvent représenter une faute de la part de la municipalité si celle-ci résulte d’un manque d’entretien flagrant. Compte tenu du fait que le cycliste ne peut se permettre de garder constamment les yeux rivés sur la chaussée, la Cour du Québec a déterminé, dans l’affaire Girard c. Ville de Québec9, qu’une fissure pouvait représenter un piège, voire un évènement de surprise intrinsèquement dangereux auquel le cycliste ne pouvait pas adéquatement se préparer.

Le fait de reporter ou de négliger sans raison valable la réparation de la voie cyclable peut également constituer une faute reconnue par les tribunaux. Dans l’affaire Miller c. Ste-Lucie des Laurentides (Municipalité de)10, la municipalité a tardé à réparer un pont sur lequel passaient plusieurs piétons et cyclistes. Certaines planches composant la surface de roulement étaient mal fixées voire pas du tout fixées. Même si le cyclise aurait dû apercevoir l’affiche mise en place par la municipalité et débarquer de sa bicyclette avant d’emprunter le pont, la Cour a déterminé que la responsabilité de sa chute reposait en grande partie (80 %) sur les épaules de la municipalité. Il est d’ailleurs plutôt rare que le réclamant n’ait pas à assumer une part de responsabilité dans l’évènement malheureux.

En conclusion, bien qu’il soit toujours important pour la municipalité de veiller au bon entretien de ses voies cyclables, cette responsabilité s’avère encore plus pertinente en temps de pandémie, vu la popularité des activités qui y sont pratiquées. Il est important de faire un suivi des plaintes reçues par la municipalité concernant des problématiques de sécurité des pistes cyclables, mais ce n’est pas parce qu’un accident survient que la responsabilité de la municipalité est automatiquement retenue.

1 Loi sur les compétences municipales, RLRQ c. C-47.1, art. 66.

2 Ville de Montréal-Nord c. Carruba-Taddeo, J.E. 94-1936 (C.A.), [1994] R.R.A. 704 (C.A.).

3 Loi sur les cités et villes, RLRQ c. C-19, art. 585 1.; Code municipal du Québec, RLRQ c. C-27.1, art. 1112.1.

4 Code civil du Québec, art. 586.

5 Doré c. Ville de Verdun, [1997] 2 R.C.S. 862.

6 Code civil du Québec, art. 2930 ; Doré c. Ville de Verdun, préc. note 5.

7 Code civil du Québec, art. 1457.

8 Loi sur les cités et villes, préc. note 3, art. 604.1.; Code municipal du Québec, préc. note 3, art. 1127.2.

9 [2004] R.R.A. 1395.

10 2015 QCCQ 3253.

Pour en savoir plus sur les services juridiques offerts par l’UMQ, visitez le site Web de l’Union.

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