Publié le 11 novembre 2021
L’équipe des affaires juridiques de l’UMQ désire porter à votre attention une décision d’intérêt de la Cour suprême du Canada qui implique la Ville de Nelson (Colombie-Britannique) et l’intimée, Taryn Joy Marchi, en matière de déneigement.
La Ville avait procédé au déblayage d’espaces de stationnement, créant un banc de neige continu en bordure du trottoir qui séparait les espaces de stationnement du trottoir. Le personnel de la Ville n’avait cependant pas dégagé un passage vers le trottoir pour les conducteurs qui se garaient dans les espaces de stationnement. En tentant d’enjamber le banc de neige, l’intimée s’est blessée et à décider de poursuivre la Ville. Dans une décision unanime, la Cour suprême considère que la Ville n’a pas réussi à démontrer que sa décision en matière de déneigement constituait une décision de politique générale fondamentale jouissant de l’immunité contre les actions en responsabilité pour négligence. De ce fait, la Ville a une obligation de diligence et sa responsabilité peut être engagée en cas de négligence.
Voici des extraits pertinents de la décision:
« [13] Le présent pourvoi soulève trois questions : le juge de première instance a‑t‑il erronément conclu que la Ville n’avait pas d’obligation de diligence envers Mme Marchi, parce que les décisions de la Ville en matière d’enlèvement de la neige constituaient des décisions de politique générale fondamentale n’entraînant pas de responsabilité pour négligence? Le juge de première instance a‑t‑il fait erreur dans son analyse de la norme de diligence? Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur dans son analyse du lien de causalité?
[67] En résumé, les décisions de politique générale fondamentale sont des « décisions [qui] se rapportent à une ligne de conduite et reposent sur des considérations d’intérêt public, tels des facteurs économiques, sociaux ou politiques, pourvu qu’elles ne soient ni irrationnelles ni prises de mauvaise foi » (Imperial Tobacco, par. 90). Elles forment « un sous‑ensemble restreint de décisions discrétionnaires » — c’est‑à‑dire que le fait qu’un choix a été effectué n’est pas indicatif d’une décision de politique fondamentale (ibid., par. 84 et 88). Les décisions de politique générale fondamentale n’entraînent pas de responsabilité pour négligence, parce que les branches législative et exécutive ont des compétences et des rôles institutionnels fondamentaux qui doivent être protégés de l’ingérence susceptible de découler de l’exercice par les tribunaux de leur pouvoir de surveillance en application du droit privé. Le tribunal doit prendre en compte la mesure dans laquelle la décision du gouvernement était fondée sur des considérations d’intérêt public, de même que le degré d’incidence de ces considérations sur la raison d’être de l’immunité liée aux décisions de politique générale fondamentale.
[68] En outre, quatre facteurs se révèlent utiles dans l’examen de la nature d’une décision gouvernementale : (1) le niveau hiérarchique et les responsabilités de la personne qui décide; (2) le processus suivi pour arriver à la décision; (3) la nature et l’importance des considérations budgétaires; et (4) la mesure dans laquelle la décision était fondée sur des critères objectifs.(…)
[81] La Ville a réagi de la manière habituelle à la première chute de neige de janvier : elle s’est conformée aux itinéraires de déblayage et d’épandage de sable prévus dans la Politique écrite (qui n’est pas contestée par Mme Marchi); elle a attendu que toutes les rues de la Ville soient déblayées avant de procéder à l’enlèvement des bancs de neige dans le cœur du centre‑ville; et elle a suivi plusieurs pratiques non écrites, notamment en ce qui a trait à l’enlèvement de la neige dans les différents escaliers de la Ville. Bien que le déblayage des espaces de stationnement ne soit pas prévu dans la Politique écrite, la Ville a déblayé les espaces de stationnement en angle dans le secteur 300 de la rue Baker et a créé un banc de neige continu bloquant l’accès aux trottoirs à partir de ces espaces. Durant tout ce processus, la superviseure des travaux publics a pris des décisions quant au nombre d’employés devant être déployés. Elle a également [traduction] « patrouillé les rues tout au long de la journée pour s’assurer que celles‑ci [étaient] sécuritaires et que les équipes [travaillaient] rapidement et efficacement » (décision de première instance, par. 5(h)).
[83] Au vu du dossier, la décision de la Ville ne présentait aucune des caractéristiques d’une décision de politique générale fondamentale. Bien que le dossier n’indique pas clairement si et dans quelle mesure la superviseure était étroitement liée à une représentante démocratiquement élue ou à un représentant démocratiquement élu, elle a révélé qu’elle ne possédait pas le pouvoir de prendre une décision différente en ce qui concerne le déblayage des espaces de stationnement (le premier facteur). De plus, rien ne tend à indiquer que la méthode de déblayage des espaces de stationnement de la rue Baker résultait d’une décision découlant de délibérations ayant comporté la mise en balance prospective d’objectifs concurrents et d’objectifs de politique d’intérêt général par la superviseure ou ses supérieurs hiérarchiques. En fait, il n’y avait aucune preuve tendant à indiquer qu’on avait à quelque moment que ce soit examiné la possibilité de dégager des passages dans les bancs de neige; selon la preuve présentée par la Ville, il s’agissait de la façon coutumière de faire les choses (le deuxième facteur). Bien que des considérations budgétaires aient clairement joué un rôle, il ne s’agissait pas de considérations budgétaires examinées à un haut niveau, mais plutôt de considérations budgétaires courantes prises en compte sur une base individuelle par des membres du personnel (le troisième facteur).
[84] Enfin, la méthode retenue par la Ville pour le déblayage des espaces de stationnement peut aisément être évaluée sur la base de critères objectifs (le quatrième facteur). (…)
[86] En conséquence, la Ville ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver que Mme Marchi cherche à contester une décision de politique générale fondamentale jouissant de l’immunité contre les actions en responsabilité pour négligence. Bien qu’il ne soit pas plaidé que la décision de la Ville était irrationnelle ou avait été prise de mauvaise foi, le « moyen de défense fondé sur la notion de politique générale fondamentale » invoqué par la Ville ne peut être retenu, et cette dernière avait une obligation de diligence envers Mme Marchi. Les principes habituels du droit de la négligence s’appliquent afin de déterminer si la Ville a manqué à son obligation de diligence et, dans l’affirmative, si elle doit être tenue responsable des dommages causés à Mme Marchi. »
Il est important de souligner que cette décision pourrait être prochainement invoquée à l’encontre des municipalités dans le cadre de litiges en responsabilité délictuelle. Une analyse plus détaillée de ce jugement vous sera communiquée lors de la revue jurisprudentielle 2021 de l’UMQ.
Pour consulter le texte intégral, cliquez ici.
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