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Décision d’intérêt : Profilage racial – Le pouvoir policier d’intercepter des automobilistes sans motif réel viole la Charte

Publié le 1 novembre 2022

L’UMQ désire porter à votre attention une décision récente de la Cour supérieure concernant la validité constitutionnelle de la règle selon laquelle un policier peut intercepter un véhicule sans motif réel.

Le demandeur, un jeune homme noir arrêté à de multiples reprises par la police sans motif réel, cherche à faire déclarer invalide cette règle sur la base qu’elle contrevient aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte ») garantissant le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne (art. 7), le droit à la protection contre la détention arbitraire (art. 9), et le droit à l’égalité (art. 15). La Cour lui donne raison et déclare cette règle inopérante.

Le pouvoir policier d’intercepter un véhicule sans motif réel de croire ou de soupçonner qu’une infraction à une règle de sécurité routière a été commise se trouve au Code de la sécurité routière et découle d’une règle de common law établie dans les années 90 par la Cour suprême du Canada. À cette époque, la Cour suprême, dans une décision partagée à 5 contre 4, avait conclu que l’interception d’automobiliste sans motif réel violait le droit à la protection contre les détentions arbitraires, mais que cette violation était justifiée puisqu’il s’agissait d’une atteinte minimale justifiable dans le cadre d’une société libre et démocratique pour des raisons de sécurité du public. Or, plus de trente ans se sont écoulés depuis la décision de la Cour suprême, et, comme souligne la Cour supérieure, la société a beaucoup évolué. Notamment, la notion de profilage racial n’était pas reconnue comme elle l’est aujourd’hui. Ainsi, la Cour supérieure s’écarte du précédent établi par la Cour suprême pour rendre un jugement dans le contexte moderne et sur de nouvelles questions de droit.

Le juge de la Cour supérieure consacre une importante partie des 170 pages de son jugement à examiner et à circonscrire la notion du profilage racial. Quelques conclusions peuvent y être tirées. D’abord, le profilage racial n’est pas synonyme de racisme. Tandis que le racisme est souvent direct et conscient, le profilage racial se fait de façon insidieuse à travers de préjugés et de stéréotypes. Dans le contexte juridique du cas en espèce, le profilage racial est une action prise par une personne en autorité (le policier), « sans motif réel ou soupçon, pour des motifs allégués de protection du public, envers des personnes ciblées, consciemment ou non, en raison de leur appartenance à une race, plutôt qu’en fonction de la description d’une personne sous enquête, avec pour effet de les exposer à un traitement différencié ou à l’application d’une mesure de façon disproportionnée ». Le profilage racial perpétue les préjugés programmés par l’histoire et ainsi le traumatisme historique des personnes noires. La preuve démontre que les personnes racisées, et surtout les personnes noires, sont beaucoup plus susceptibles d’être arrêtées sans motif que d’autres groupes, et beaucoup plus souvent que les personnes blanches. Bien qu’il opère présentement un changement de culture auprès des autorités politiques et législatives et au sein des corps policiers, la règle permettant aux policiers d’intercepter un automobiliste sans motif réel n’est pas balisée ou encadrée autrement que par des formations et des rappels aux policiers que le profilage racial est interdit. Aucun paramètre n’est inscrit dans la règle de droit, ce qui ouvre la porte large au profilage racial.

La Cour examine ensuite les atteintes aux droits et garanties de la Charte et trouve qu’il y a violation injustifiable des articles 9, 7 et 15. Pour en arriver à cette conclusion, le tribunal retient notamment l’absence de preuve quant à l’efficacité de ces interceptions routières aléatoires pour assurer la sécurité routière. Compte tenu du lourd impact que cette règle a sur les personnes noires, le tribunal ne peut accepter ce déséquilibre alors que les policiers disposent d’autres moyens pour assurer efficacement la sécurité routière.

Le droit à la protection contre la détention arbitraire, codifié à l’article 9 de la Charte, porte sur la liberté physique des personnes. La Cour conclut que la règle permettant l’interception de véhicules sans motif réel porte atteinte à ce droit et ne peut se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique compte tenu du lourd impact qu’elle a sur les personnes noires.

L’article 7 de la Charte, garantissant le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, porte davantage sur la liberté de faire des choix personnels et touche les notions d’autonomie personnelle. Comme l’explique la Cour, « dans la mesure où les conducteurs noirs se conforment à la loi, ils n’ont pas à subir le poids d’une surveillance accrue par rapport aux conducteurs blancs ayant pour effet de brimer leur autonomie personnelle ». L’atteinte à ce droit n’étant pas minimale, le tribunal conclut que la violation de ce droit n’est pas justifiable.

Dans son analyse eu égard à l’article 15 de la Charte, soit le droit à l’égalité, la Cour souligne qu’à sa face même, la règle permettant les interceptions arbitraires semble neutre. Or, c’est plutôt par effet indirect que cette règle ouvre la porte à un traitement différent de personnes racisées et surtout de personnes noires, par l’absence de protection contre le profilage racial. Ainsi, la règle a un effet préjudiciable et disproportionné sur un groupe protégé contre la discrimination. Tout comme pour les deux autres droits examinés, cette violation ne peut être justifiée dans une société libre et démocratique.

La Cour décide que le remède approprié dans les circonstances est de déclarer inopérant le pouvoir policier d’intercepter un véhicule sans motif réel. Afin de permettre au législateur de répondre ou de remédier à la situation et pour permettre aux corps policiers d’adapter leurs pratiques, l’effet du jugement est suspendu pour un délai de six mois.

Veuillez noter que le délai pour porter cette décision en appel n’est pas expiré.

Pour consulter le texte intégral de la décision, cliquez ici (Luamba c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 3866).

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